PARLEZ–VOUS LE BELGE?

J’habite à Bruxelles, capitale de l’Union Européenne et de la Belgique. La question liminaire pour logique qu’elle soit appelle cependant une réponse négative. Non, je ne parle pas le « belge ». Bien des interlocuteurs avertis savent qu’il y a deux langues et deux grandes cultures nationales : le français et le néerlandais. Mon propos n’est pas de donner une leçon d’histoire mais de répondre aux interrogations pertinentes du lecteur. L’identité belge se fonderait -elle alors sur une non-identité ? Si non, comment convient-il de la définir ?

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La Grand Place (Bruxelles)

Me revient en mémoire le postulat de Jules César: «  De tous les peuples de La Gaule, les Belges sont les plus braves ». Un caléidoscope de Gaulois belges…. Les Eburons, Les Nerviens, Les Atrébates, , Les Aduatiques, ces gens du Nord en somme…. Tout lecteur avisé fait ensuite des bonds vertigineux dans le temps en écartant une constante clef : de toutes les époques, le Belge et la Belgique ont été envahis. Le Belge et la Belgique, des passeurs, résistants ou non à l’envahisseur, pourquoi pas ? Certes, depuis, la révolution de 1830, les frontières n’ont quasi plus bougé, une monarchie constitutionnelle fut instaurée et une neutralité constitutionnellement assurée.
De cette époque date du reste le mot « anticonstitutionnellement », le plus long mot de la langue française. Une anecdote ? Pas du tout. Parcourons les 2 derniers siècles d’histoire pour découvrir que la résistance face à l’intégrité et l’indépendance du territoire furent honorées au prix du sang versé trop abondamment hélas.
Oserai-je dès lors prétendre que, depuis lors, La Belgique est devenue une terre inviolable et d’accueil ? Oui et non car nous comprenons tous qu’en ces temps rudes du 21ième siècle, nul n’est à l’abri de la tentation du repli sur soi…même pas ce tout petit Etat à la plus forte densité d’habitants au km2 au sein de l’Union Européenne.

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Pour tout lecteur aux aguets, Bruxelles est un enjeu « capital » pour étayer cette définition de La Belgique. Il connait les conflits autour de cette ville, sur sol flamand avec une majorité de personnes parlant le français.
La Belgique a ce chic d’opposer l’inopposable. Et oui, s’il existe des frontières avec les pays voisins, il existe aussi un clivage, la « médiane » linguistique, séparant le Nord du Sud au sein même de ce cher pays depuis 1962. Deux conceptions du droit s’affrontent ainsi autour des 19 municipalités de Bruxelles : celle du droit du sol applicable chez les néerlandophones comme celle du droit des gens en vigueur chez les francophones qu’aucune réforme de l’Etat ne résoudra.
Bruxelles, le « hérisson » de la Belgique…. ou plutôt l’histoire de deux amants qui se font la « tendre guerre ». Chaque recoin de la capitale se souvient certainement « des éclats de vieilles tempêtes » politiques. Les hommes qui nous dirigent se gardent bien d’éviter le piège de Bruxelles et il leur faut bien du talent pour écarter les lourds nuages chargés d’orage… En conséquence, Bruxelles est devenue une région à part entière au même titre que la Wallonie et La Flandre, mais pas comme ces deux dernières, une communauté culturelle. De ce fait, seule à Bruxelles, l’emploi de deux des trois langues nationales est obligatoire, et dans les pouvoirs publics, et dans l’enseignement. Ailleurs, chacun choisit sa langue maternelle ainsi qu’une langue de son choix, pour la plupart du temps, l’Anglais.
Nous définissons cette fibre artistico-politique par le « compromis à la belge » considérée par bon nombre de Belges et non- Belges comme une expression surréaliste de la démocratie… Voilà donc bien l’illustration d’un de nos nombreux paradoxes, 60% des dits- Belges parlent le néerlandais alors que 90% de la population de Bruxelles parlent le français, territoire situé, qui plus est, au Nord du tracé de la frontière linguistique où habite une majorité de néerlandophones communément appelés flamands.

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Frontière belgo-allemande

Il n’aura pas échappé au lecteur scrupuleux que la 3ième langue nationale est l’Allemand, parlée par 70000 Belges : ce sont les habitants de ces « fameux » cantons de l’Est aux confins de trois frontières nationales : les Pays-Bas, l’Allemagne et le Grand-Duché de Luxembourg. Eupen en est le cœur et les poumons. En effet, depuis 1973, la ville est devenue le chef-lieu de la Communauté Germanophone non instituée en « Région ». L’ histoire de ces Cantons est marquée par l’appartenance à La Prusse après le Congrès de Vienne en 1815, puis par une annexion extorquée aux habitants par un vote, ni souhaité, ni secret, en guise de réparation après le Traité de Versailles en 1919, puis par l’ascension d’ Hitler au pouvoir à Berlin en 1933, mettant ces Belges « assimilés » devant un choix cornélien en les obligeant de choisir entre l’apparente démocratie « allemande » et la démocratie belge. En 1940, Hitler envahit la Belgique, annexe les cantons de l’Est et, sur le fronton de l’Hôtel de Ville eupenois, une banderole avec ce calicot : « Longue Vie au Führer », choix imposé compte tenu de la révocation de la nationalité belge par le « petit moustachu de Berlin»….Quatre ans plus tard, après la reddition de l’ Allemagne, nouvelle annexion à la Belgique avec sur le même fronton du même Hôtel de Ville, un immense panneau »Vive La Belgique, Vive Le Roi et Son Régent ». …
En y réfléchissant, je ne peux m’empêcher de songer à Wilhem Busch, écrivain-dessinateur allemand, décrivant les farces de deux galopins, Max et Moritz, qui finissent par atterrir dans une meule et par être picorés par des oies. Les habitants des cantons de l’Est, ballotés et minorisés, ont toujours servi de monnaie d’échange….des galopins picorés par des « oies » avides de pouvoir.
Récemment, les habitants des Cantons ont fêté la libération « de platine ». Pas en grande pompe vu qu’on ne souhaite pas vraiment connaître les collaborateurs , les résistants, les collaborateurs résistants et les résistants collaborateurs… mieux vaut donc garder le sujet « tabou » aux yeux de la plupart de nos concitoyens. Preuve en est qu’il n’y a qu’une seule stèle commémorative, sobre et anonyme dans la commune de Malmédy sur laquelle est gravée : « A Tous Les Résistants de la Guerre 1940-1944 ».Preuve en est aussi que les chercheurs ont ignoré ce passé, ce qui était apparemment le seul moyen de garantir la paix sociale.
« Crime sans Châtiment » donc pour paraphraser Dostoïevski….

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Alors existe-t-elle cette « belgitude », cette façon d’être Belge ? Oui,  elle se reflète dans son surréalisme en littérature, en peinture, en musique . En politique, elle se reflète par un fédéralisme dissociatif : les résultats : des compromis, des concessions., une extrême complexité et asymétrie des institutions. Cette « belgitude-là » est ainsi devenue un « Etat » où les Régions et les Nationalismes sont les maîtres même si le Roi et un gouvernement fédéral « réduit » en restent  le coulis de ciment. Certains partis poussent néanmoins à croire que la Belgique disparaîtra un jour. Qui sait ? Une et une seule chose me semble sûre. Pour éviter sa disparition, il faudra relever demain le défi de créer 4 régions économiques : La Néerlandophone, La Francophone, La Germanophone sans pour autant laisser celle de Bruxelles  dans le congélateur.
Nos enfants et les enfants de nos enfants ne parleront toujours pas le « Belge » certes mais auront l’immense privilège de pouvoir se targuer de parler au minimum trois langues !

Author: Jean Pierre Aussems

(1956, Eupen) aussemsjeanpierre@gmail.com LinkedIn profil: https://be.linkedin.com/pub/jean-pierre-aussems/6a/276/599

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